UICN 1998 : Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche

Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la protection du patrimoine forestier, notamment au travers de l'action de l'UICN et la gestion durable des forêts, Fontainebleau le 5 novembre 1998.

FRANCE. Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstances : Inauguration d'une plaque commémorative du 50 ème anniversaire de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) aux gorges de Franchard (forêt de Fontainebleau) le 5 novembre 1998

ti : Madame la Président de l'UICN,
Monsieur le Directeur de l'UNESCO,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Directeur Général de l'Office National des Forêts,
Mesdames, Messieurs,
Chers Ecoliers,


Le monument que viennent de dévoiler les enfants de CM2 de Mme Labeur commémore le cinquantième anniversaire d'une initiative visionnaire : au sortir d'une guerre mondiale effroyable, deux décennies avant l'irruption de l'écologie dans les valeurs de notre société. 24 ans avant la Conférence de Stockholm sur l'environnement, 44 ans avant le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, des précurseurs avaient déjà choisi Fontainebleau pour créer un réseau mondial de réflexion et d'action au service de la conservation de la nature, l'UICN.

Monsieur Thierry Martin. le concepteur de ce monument, l'a appelé " l'Oeil des Nations ".

Cet " Oeil des Nations " est celui de la conscience universelle face aux enjeux d'une gestion durable des ressources naturelles dont on dit que nous ne les héritons pas des générations passées, mais que nous les empruntons aux générations futures.

Cette solidarité au travers de l'espace et du temps est un des plus beaux et des plus vertigineux défis de nos sociétés modernes.

Au coeur de cette forêt de Fontainebleau, monument naturel qui devrait bientôt figurer dans le patrimoine de l'humanité de l'UNESCO, mais aussi héritage de siècles d'une gestion marquée par l'évolution des besoins de l'homme, l'histoire de la foresterie européenne. avec ses ambitions, ses réussites. ses tâtonnements et certains de ses échecs, peut nous aider à relever ces défis :

Tout d'abord, notre responsabilité consiste à éviter les processus irréversibles de dégradation.

En Europe, les surfaces forestières ont fluctué au cours des siècles, en fonction des besoins (le la société, notamment pour faire face au devoir de nourrir les populations.

C'est la révolution industrielle et énergétique, en même temps que la révolution agronomique qui ont permis le doublement de la forêt française en deux siècles.

La priorité est donc à la préservation du patrimoine des sols et des espèces, qui permettent de renouer avec des dynamiques naturelles lorsque les circonstances le permettent à nouveau.

Ensuite, la plus célèbre maxime forestière française nous conseille d'imiter la nature et de hâter son oeuvre, ce qui est très proche de la philosophie de Francis Bacon qui préconise d'obéir à la nature pour la commander.

Mais nos connaissances sont encore imparfaites, et le savoir hérité d'expériences séculaires n'est pas en lui même suffisant pour faire face à certaines nouvelles questions.

Nous avons besoin d'une recherche forestière dynamique, mobilisant toutes les techniques modernes, mais également curieuse du fonctionnement des écosystèmes non gérés par l'homme.

L'humilité est de mise, et les beaux résultats d'aujourd'hui sont le fruit des choix de nos prédécesseurs, et nos choix d'aujourd'hui seront évalués par nos successeurs.

Le principe de précaution ne doit pas nous paralyser, mais nous inviter à faire des paris raisonnés.

Enfin, il n'est pas de gestion durable sans écoute des besoins changeants d'une société.

Les meilleures techniques et les résultats les plus probants ne peuvent dispenser de prendre en compte les attentes des populations, quelque difficile puisse être l'arbitrage entre certaines attentes contradictoires, parfois enracinées dans une conception rêvée plus que vécue de la nature. Les forestiers n'ont pas toujours été assez attentifs à ces attentes, trop focalisés qu'il étaient sur la cohérence nécessaire avec les paris anciens.

Pourtant les réussites les plus éclatantes de notre patrimoine forestier actuel trouvent bien leurs racines dans une grande capacité de la politique forestière à séparer les effets de mode des tendances de fonds dans l'évolution des besoins humains.

Paradoxalement il ne peut y avoir de gestion durable que dans la conjonction d'un savoir et d'un savoir faire avec une ambition pour la société, au travers d'une démarche éthique.

Il ne peut y avoir de choix fécond pour la nature sans un choix pour l'homme.

Cette vision sous-tend le projet français d'une gestion durable multifonctionnelle des forêts.

Cette approche multifonctionnelle de la gestion de notre patrimoine naturel est, depuis longtemps. au centre de notre pratique forestière.

Nous sommes, aujourd'hui même en train de l'étendre à notre politique de l'agriculture ut de l'espace rural à travers la loi d'orientation dont est saisi notre Parlement.

Cette conciliation des attentes nouvelles de la société implique à la fois une démarche véritablement scientifique -associant sciences naturelles et sciences humaines- et un dialogue avec toutes les parties prenantes : propriétaires et gestionnaires de l'espace, scientifiques et naturalistes, organismes représentants les différents usagers, associations de protection. de la nature...

C'est une démarche exigeante et parfois difficile, mais extraordinairement féconde.

Elle est même, pour moi, la condition de la gestion véritablement durable.

Au travers des débats démocratiques sur l'avenir du massif de Fontainebleau et du projet de charte en préparation entre le ministère chargé des forêts et le ministère chargé de l'environnement, c'est bien l'esprit qui anime les réflexions et actions de l'UICN qui s'exprime, confrontation difficile mais féconde entre les sciences naturelles et les sciences humaines.

Je souhaite que ce jeune quinquagénaire qu'est l'UICN trouve dans son lieu de naissance un laboratoire pour la mise en oeuvre de ces idées, en quête d'un compromis négocié entre tradition et innovation, loin de tout dogmatisme.

Merci à tous ceux qui, au cours des cinquante dernières années, ont été des semeurs d'idées. Merci d'avance à ceux qui reprennent le flambeau.