Arrêt de la Cour administrative d'appel du 30 janvier 2001 : permis de construire de l'INSEAD

Cour administrative d'appel de Paris

N° 00PA02622 00PA02760   
Inédit au recueil Lebon
1E CHAMBRE
Mme GIRAUDON, rapporteur
Mme MASSIAS, commissaire du gouvernement


lecture du mardi 30 janvier 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



sous le n 00PA02622 la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 16 août et 6 octobre 2000, présentés pour la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU, représentée par son maire en exercice, par la SCP d'avocats au Conseil d'Etat et à la cour de cassation LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; la commune demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement en date du 22 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé, à la demande de l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature, la décision du 7 septembre 1999 par laquelle le maire de la commune a délivré un permis de construire à L'Institut Européen d'Administration des Affaires pour l'édification de bâtiments sur un terrain situé route du Plessy-Mornay ;
2 ) d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement ;
3 ) de rejeter la demande de l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature devant le tribunal administratif de Melun ;
4 ) de condamner l'association à lui verser ainsi qu'à l'institut la somme de 30.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU II ), sous le n 00PA02760 la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour les 31 août et 6 octobre 2000, présentés pour l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES, dont le siège social est ..., par la SCP d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; l'institut demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement en date du 22 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé, à la demande de l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature, la décision du 7 septembre 1999 par laquelle le maire de la commune de Fontainebleau lui a délivré un permis de construire pour l'édification de bâtiments sur un terrain situé route du Plessy-Mornay ;
2 ) d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement ;
3 ) de rejeter la demande de l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature devant le tribunal administratif de Melun ;
4 ) de condamner l'association à lui verser ainsi qu'à la commune la somme de 30.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque ;
VU le code de l'urbanisme ;
VU le code du domaine de l'Etat ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 janvier 2001 :
- le rapport de Mme GIRAUDON, premier conseiller,
- les observations de la SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la commune de FONTAINEBLEAU,
- et les conclusions de Mme MASSIAS, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité du permis de construire :

Considérant que le terrain d'assiette de la construction autorisée par le permis litigieux, d'une superficie de 1 ha 55 a et 81 ca, a été acquis par l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES en vertu d'un acte d'échange conclu avec l'Etat le 21 mai 1999 ; qu'il est situé dans le périmètre du site classé, en vertu de l'arrêté ministériel du 2 juillet 1965, de la forêt domaniale de Fontainebleau ;
Considérant qu'aux termes de l'article R.421-38-6-I du code de l'urbanisme : "Lorsque la construction se trouve dans un site classé ... le permis de construire ne peut être délivré qu'avec l'accord exprès de l'autorité compétente, en application du décret n 88-1124 du 15 décembre 1988 portant déconcentration de la délivrance d'autorisations exigées en vertu des articles 9 et 12 de la loi du 2 mai 1930 sur les monuments naturels et les sites ..." ; qu'en application de ces dispositions, la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, par lettre du 3 août 1999, a autorisé la délivrance du permis litigieux sous certaines remarques ; que le permis a été délivré assorti des prescriptions que ces remarques impliquaient ; que si, en vertu de l'article 14 de la loi du 2 mai 1930 susvisée, le déclassement total ou partiel d'un site classé ne peut être prononcé que par décret en Conseil d'Etat, il ressort des pièces du dossier que la modification de l'état des lieux autorisée par la ministre, compte tenu de la faible superficie en cause et de l'impact limité de l'opération autorisée, et en raison des compensations apportées par le pétitionnaire, qui s'engageait, en contrepartie de l'acquisition du terrain, à céder diverses parcelles d'une superficie sensiblement équivalente, dont il était propriétaire en forêt de Fontainebleau ainsi, que 16 ha boisés devant être rattachés à cette forêt, ne peut être regardée comme une dénaturation du site équivalant à un déclassement ; qu'ainsi, la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU et l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun, par le jugement attaqué, a considéré que le permis de construire litigieux ne pouvait être accordé qu'après le déclassement du terrain d'assiette prononcé par décret en Conseil d'Etat ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature tant devant le tribunal administratif de Melun que devant la cour ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R.421-1-1 du code de l'urbanisme : "La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain ..." ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le terrain d'assiette de la construction litigieuse, situé en forêt domaniale de Fontainebleau, a été acquis par l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES en vertu d'un acte d'échange conclu avec l'Etat le 21 mai 1999 ; qu'ainsi, à la date à laquelle le maire de la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU a délivré le permis de construire attaqué, l'institut précité était propriétaire dudit terrain ; que si, en application de l'article L.62 du code du domaine de l'Etat, les bois et forêts domaniaux ne peuvent être aliénés qu'en vertu d'une loi et que l'aliénation susmentionnée n'a pas été autorisée par voie législative, cette circonstance, qui n'avait pas été portée à la connaissance du maire de la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU lors de l'instruction de la demande du permis de construire litigieux, est sans incidence sur la légalité de cette autorisation de construire, dès lors qu'à la date à laquelle ce permis a été octroyé, l'aliénation du terrain n'avait pas été déclarée nulle, ni même n'avait fait l'objet de contestation ; que, par suite, le permis de construire litigieux n'a pas été délivré en méconnaissance des dispositions de l'article R.421-1-1 du code de l'urbanisme, nonobstant la circonstance que l'acte d'échange comporterait des mentions insuffisantes et sous-estimerait la valeur réelle des immeubles concernés ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R.421-2-A du code de l'urbanisme : "Le dossier joint à la demande de permis de construire comporte : ... 6 Un document graphique au moins permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction dans l'environnement ... Lorsque le projet comporte la plantation d'arbres de haute tige, les documents graphiques devront faire apparaître la situation à l'achèvement des travaux et la situation à long terme ..." ; que le volet paysager figurant dans le dossier de demande de permis de construire comporte des documents graphiques faisant apparaître l'emplacement de chaque arbre à conserver ou à planter, ainsi que la situation desdites plantations à long terme ; qu'ainsi, les dispositions précitées n'ont pas été méconnues ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature, Mme X..., directrice de la nature et des paysages, signataire de l'autorisation susmentionnée du 3 août 1999 accordée en application de l'article R.421-38-6 du code de l'urbanisme, bénéficiait d'une délégation de signature de la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement en vertu d'un arrêté, régulièrement publié, en date du 24 septembre 1997 ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article R.421-3-1 du code de l'urbanisme : "Lorsque les travaux projetés nécessitent la coupe ou l'abattage d'arbres dans les bois, forêts ou parcs soumis aux dispositions de l'article L.130-1 du présent code ou L.312-1 du code forestier, l'autorisation de coupe ou d'abattage et, le cas échéant, l'autorisation de défrichement sont jointes à la demande" ; qu'il ressort des pièces du dossier de la demande de permis de construire que celui-ci comportait l'autorisation de défrichement délivrée le 12 août 1999 par le préfet de Seine-et-Marne ; que la circonstance que cette autorisation a été délivrée en cours d'instruction de la demande du permis litigieux est sans incidence sur la légalité de ce dernier ;
Considérant, en cinquième lieu, que si le plan d'occupation des sols révisé de la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU supprime le classement en espace boisé d'une bande de terrains dont fait partie la parcelle servant de terrain d'assiette à la construction litigieuse, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette modification, compte tenu de la faible superficie des terrains en cause situés en limite d'agglomération à la lisière du massif forestier, serait incompatible avec les orientations du schéma directeur de la région Ile-de-France qui proscrit, en dehors des sites urbains constitués, toute nouvelle urbanisation à moins de 50 mètres des lisières des bois et forêts de plus de 150 hectares ;
Considérant, en sixième lieu, que l'association seine-et-marnaise de sauvegarde de la nature fait valoir que c'est en violation des dispositions de l'article L.111-1-4 du code de l'urbanisme que le règlement de la zone UF, où est située la parcelle litigieuse, autorise l'édification de constructions en bordure de la route nationale n 7 ; qu'aux termes de cet article : "En dehors des espaces urbanisés de la commune, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d'autre de l'axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d'autre de l'axe des autres routes classées à grande circulation ... Les dispositions des alinéas précédents ne s'appliquent pas dès lors que les règles concernant ces zones, contenues dans le plan d'occupation des sols ..., sont justifiées et motivées au regard notamment des nuisances, de la sécurité, de la qualité architecturale, ainsi que de la qualité de l'urbanisme et des paysages" ; qu'il ressort des pièces du dossier que les dispositions du règlement du plan d'occupation des sols de la commune relatives à la zone UF, ainsi que le rapport de présentation de ce document d'urbanisme, intègrent "le traitement des nuisances, la sécurité, la qualité architecturale et urbaine et l'intégration paysagère ..., notamment, par un accompagnement végétal de qualité" ; qu'ainsi, les dispositions précitées du code de l'urbanisme ne sont pas méconnues ;
Considérant, en septième lieu, que, contrairement à ce que soutient l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature, le rapport de présentation du plan d'occupation des sols justifie du respect des servitudes d'utilité publique, conformément aux dispositions de l'article R.123-17 du code de l'urbanisme ;
Considérant, enfin, que le moyen tiré de la violation de l'article UF11 du règlement du plan d'occupation des sols n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU et l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir qu'ils soulèvent à l'encontre de la demande de l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature, sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé, à la demande de cette association, le permis de construire délivré le 7 septembre 1999 à cet institut ;

Sur les conclusions présentées en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstance de l'espèce, de condamner l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature à verser à la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU et à l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES une somme de 4.000 F en application de ces dispositions ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU et l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES qui, dans la présente instance, ne sont pas la partie perdante, soient condamnés à verser à l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Article 1er : Le jugement en date du 22 juin 2000 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande de l'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature présentée devant le tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : L'association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature est condamnée à verser à la COMMUNE DE FONTAINEBLEAU et à l'INSTITUT EUROPEEN D'ADMINISTRATION DES AFFAIRES la somme de 4.000 F en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.